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Entretien avec...Ruggero Raimondi
in Spectacle du monde, mars 1998, par Vincent Trémolet de Villers

C'est l'un des monstres sacrés de l'art lyrique. Sa silhuette imposante, la sagesse de son regard qui laisse deviner une profondeur sereine donnent à Ruggero Raimondi une autorité naturelle. Il est vrai que chez lui tout impressionne: la puissance et la couleur exceptionelle de sa voix, l'énergie qu'il met dans ses rôles: et, hors de scène, sa simplicité et sa courtoisie.

Aves-vous toujours l'enthousiasme de celui qui chantait à Spolète à vingt-trois ans?

Absolument. Plus peut-être. Quand on est jeune, on est ambitieux avant d' être enthousiaste. Après avoir fait ses preuves, la gratuité des choses voul les rend plus agréables.

Lorsque l'on joue Boris Godounov, Don Giovanni, Iago, Don Quichotte, n'y a t il pas une relation d'amour qui se crée entre vous et vos personnages?

Oui, je dois avouer que j'ai la chance d'avoir toujours joué des personnages que j'amais. C'est une grande chance. Par exemple Iago. Cela faisait dix ans que je voulais le faire, mais je n'avais pas le courage de passer à ce rôle de baryton. Mon ami Claudio Abbado m'a proposé d'essayer avant la représentation possible à Salzbourg. La tentative a été concluante. Un an après je jouais enfin ce rôle que je voulais interpréter depuis longtemps.
Il y a longtemps en revanche que j'ai commencé à interpréter Boris Godounov o Don Quichotte. je suis tombé amoureux de Boris Godounov parce que j'ai beaucoup écouté Chialiapine dans le rôle. Je l'entendais différent des autres.

Existe-t-il un lien entre ces personnages?

Don Quichotte et Boris Godounov frappent d'abord par leur grande humanité. A l'opposé, Iago est un personnage très noir, horrible, lui qui chante "Credo in un Dio crudel che m'ha creato simile a sé" (Je crois en un Dieu cruel qui m'a crée à son image). ma chance, la chance de l'interprète, c'est de se dédoubler. D'être momentanément bon ou méchant, Iago ou Don Quichotte. C'est le plaisir de la scène: faire des choses que l'on n'a pas la possibilité de faire dans la vie.

La réflexion que provoque chez vous ces personnage s'incarne-t-elle dans des lectures?

On peut tout lire. Mais l'essentiel pour un chanteur lyrique est de comprendre profondément quel personnage il va interpréter. Pour Don Quichotte, il vaut mieux lire Cervantès. L'histoire a peu d'importance, elle diffère beaucoup du roman au livret. Je crois qu'il faut que l'interprète connaisse ces oeuvres mais il se trompe si elles deviennent des références. Parce que la littérature est un domaine différent du théâtre lyrique. Parce qu'on joue le Don Quichotte de Massenet, pas celui de Cervantès.

Vous êtes une des voix les plus célèbres au monde, mais vous savez que ces gens qui vous admirent pourront demain vous huer. Sont-ils votre plus belle histoire d'amour ou la plus ingrate des maîtresses?

Je ne sais pas si c'est une histoire d'amour. Bien sûr le public est très important parce que je fais un genre de théâtre qui a besoin du public. Pour rendre mon personnage encore plus véritable, ses sentiments encore plus intenses, il faut que le public me renvoie les émotions que je lui transmets. Il faut qu'il y ait un échange. A la fin d'une représentation j'évalue toujours la performance du public, pas seulement la mienne, les deux sont interdépendantes.

Au cinéma, il n'y a pas d'échange direct entre l'acteur et le spectateur. Vous l'aimez parce qu'il popularise l'opéra?

Quand Joseph Losey vous propose d'être Don Giovanni dan son film, quand Francesco Rosi vous donne le rôle d'Escamillo dans Carmen, vous seriez un idiot de refuser. Enfine je crois.
De plus, leurs film sont très bons. Les critiques d'opéra affirment que ça n'est pas de la musique. Ils ont raison puisque c'est avant tout du cinéma. Mais ils donnent du plaisir à un très grand nombre de gens. Ils font sûrement sentir à certains les beauté de l'opéra. Et leur donnent peut-être envie de s'y rendre. Il s'adressent à un autre public. C'est autre chose.

L'art lyrique transcende la barrière de la langue. Pourquoi un Français est-il ému devant un opéra chenté en russe?

Parce que la musique touche chacun de la même façon. Parce qu'elle est un language universel. parce que dans un orchestre il y a des Japonaises, des Anglais, des Russes, des Allemands et dès la premiére mesure ils parlent tous la même langue. Ensuite il y a l'interprétation du chanteur. C'est dans l'intonation des mots que l'on peut juger de la justesse d'une écoute et du talent d'un acteur. celui que ne sent pas la musique des mots ne sera pas un grand interprète.

Vous revenez à Paris au profit des enfants trisomiques dont s'occupe la Fondation Lejeune. Vous aidez beaucoup ces enfants par des concerts. Votre sagesse vient-elle de votre amour des "plus-faibles"?

J'ai moi même un fils trisomique. Si je chante, c'est pour permettre à ces enfants de partir à la montagne, d'apprendre dans des écoles spécialisées.
C'est aussi pour aider ceux qui travaillent à la recherche dans ce domain. Et puis, je crois que mère Teresa avait raison lorsqu'elle disait que ces enfants étaient des professeurs d'amour. Leur pureté est déroutante: en société mon fils sait ceux qui l'aiment et ceux qu'il gêne. Son dynamisme et sa joie de vivre sont exemplaires et épuisants.

Quelle fut votre réaction quand vous avez appris que votre fils était trisomique?

J'ai été très choqué. Le médecin qui était là m'a dit que ce serait un végétal toute sa vie. S'il le voyait aujourd'hui... En fait, j'ai eu la chance d'avoir été éclairé par le Pr. Marie-Odile Réthoré, qui m'a fait réaliser que c'était un enfant comme les autres, qu'il pourrait être heureux. Aujourd'hui il est heureux.

Il vous suit partout?

Il ne faut pas avoir peur de mettre son enfant en contact avec le monde. Moi qui suis timide, j'avais peur de le faire sortir avec nous, mais ma femme m'a convaincu. J'ai vu que Rodrigo aimait beaucoup rencontrer les gens. Et qu'il se faisait toujours accepter. Nous l'emmenons le plus possible avec nous. Cet hiver, il a même skié pour la première fois avec ses trios frères aînés. Quel plaisir de le voir dévaler les pistes noires!

Votre sérénité est exemplaire

Je ne sais pas. Je voudrais seulement dire que Rodrigo est pour moi une grâce. Qu'il ne faut pas avoir peur d'avoir un enfant trisomique. Parce qu'il nous apporte énormément. Parce que nous devrions spontanément les aimer. Le problème vient de nous, il ne vient pas d'eux.


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