Avec les années, la mèche blanche, qui contrastait
avec sa chevelure noire, commence à se fondre dans une masse
argentée. Le visage empreint de sagesse, Ruggero Raimondi possède
un regard enveloppant baigné d'une profondeur sereine. On peut
y lire la lucidité d'un homme pourtant en quête d'idéal,
à l'image du personnage de Don Quichotte dont il sera question
dans la première partie du programme qu'il interprétera
ce soir, accompagné au piano par Ann Beckmann, avec les mélodies
de Jaques Ibert et Maurice Ravel écrites sur le mythe de Cervantès.
"La vie est faite aujourd'hui de tant de matérialisme,
qu'un esprit supérieur comme Don Quichotte pourrait répondre
à une nécessité actuelle" - dit-il.
Ce personnage, façonné par le rêve et l'espoir
et dont le besoin d'absolu durera jusqu'à la mort, Ruggero
Raimondi l'a incarné, sur scène, dans le "Don Quichotte"
de Massenet. Il sait être aussi le Boris Godounov de Moussorgsky
dont il interprétera la mort, celle-ci bien plus âpre
et douloureuse. Du compositeur russe, il donnera également
les "Chants et danses de la mort".
"Par la façon dont il traite la mort dans ce recueil
de mélodies, Moussorgsky en fait plus une amie qu'une ennemie.
Il en donne une vision plus orientale que catholique"- explique
Ruggero Raimondi. "Ça me rappelle cette histoire d'un
homme très méchant qui durant toute sa vie avait fait
des choses épouvantables. Lorsqu'il meurt, il se trouve bien
sûr en enfer. Là, alors qu'une musique splendide se fait
entendre, une fille très belle l'acueille et lui demande simplement
ce qu'il veut faire, lui proposant de se baigner ou d'aller jouer
au golf en charmante compagnie. Très étonné,
il va, il s'amuse. Puis, au détour d'un couloir, baissant les
yeux, il découvre des gens qui sont torturés aux milieu
des flammes. Inqiuet,il se retourne et demande: qu'est-ce que'est?
entre nous, lui répond-on, vous savez, ce sont les catholiques,
ils aiment ça."
MORT ET RENAISSANCE
Cet humour n'a rien d'anodin et dévoile un artiste que l'idée
de la mort, sans le faire sourire, n'encombre pas, peut-être
aussi parce qu'à l'opéra elle lui va si bien. Le Don
Giovanni, et la relation équivoque que celui-ci entretient
avec elle, que Ruggero Raimondi joua à l'écran au début
des années 80, devant la camera de Joseph Losey, en est un
exemple.
"La question de la mort, je me la pose depuis longtemps. je
suis arrivé à la conclusion qu'elle aboutissait à
une renaissance dans dans une autre dimension. Ce-pendant, je ne peux
l'expliquer, c'est une question à laquelle personne ne peut
répondre. Je suis sûr qu'il y a un après. Comment
ou quoi, je ne sais pas. Cela me donne une gramde curiosité
mais pas une curiosité malsaine. Je veux vivre longuement sur
cette terre."
"Disons, que le n'ai pas peur de la mort mais plutôt de
la façon dont on peut mourir. En s'endormant, cela me semble
la façon la plus belle de partir."
Sur scène, la mort, le baryton peut la subir ou la provoquer
mais ses personnages la sèment aussi parfois. Iago d'Otello
de Verdi, qu'il a inscrit depuis peu à son répertoire,
est de ceux-là. Et bien qu'il projette deux prises de rôle,
dont celle de Simon Boccanegra de Verdi, Ruggero Raimondi estime avoir
presque fait le tour de ce qu'il est en mesure de chanter:
"J'ai toujours fait ce qui m'intéressait. Aussi, il
y a certains personnages que je n'ai plus envie de jouer, comme Don
Giovanni, à moins que le travail d'un metteur en scène
m'en offre une vision différente. J'attends une mise en scène
qui me chatouille."
Roch Bertrand